© Véronique Kolber

ELSA RAUCHS S’EST FAIT UN NOM DANS LE THÉÂTRE ET LE CINÉMA. POUR LE MIERSCHER THEATER, ELLE JOUE DANS LA TRAGÉDIE VRECKVÉI ET PARTICIPE AU CONCERT-LITTÉRAIRE SONS LITTÉRAIRES.


Elsa Rauchs, vous êtes devenue une actrice établie qui n’est plus au début de sa carrière. Qu’est-ce cela change pour vous ?

Depuis les cinq dernières années et à travers mon travail d’actrice, j’ai eu une meilleure compréhension de mes convictions dans ce mé­ tier. Les choses qu’on fait le mieux, ce sont celles dont on est profon­ dément convaincu ! Il y a certainement des acteurs qui sont moins idéologiques que moi. J’approche chaque projet avec beaucoup de questionnements. Cela ne veut pas dire que le corps, le physique ne joue pas un rôle central. Mais mon premier élan, au stade des répé­ titions, est souvent mental, analytique. Cette approche ne fait peut­ être pas de moi une actrice « facile », mais m’a donné un accès à la mise en scène. Depuis bientôt quatre ans, je dirige la Biergerbühn avec Claire Wagener, un projet participatif créé par le collectif Independent Little Lies. Ce travail m’a offert un champ d’expérimen­tation énorme et tout un monde s’est ouvert à moi, et en moi.

© Véronique Kolber

J’essaye toujours de ne pas « rester enfermée » dans le théâtre. Le théâtre est un espace libre et
en même temps un huis­clos isolé de la rue, du « vrai » monde. Créer des ponts entre le monde réel
et le monde du théâtre, raconter la vie et la société sur scène, n’est pas chose facile. Le projet de la Biergerbühn permet des rencontres inopinées entre des personnes qui ne se seraient pas rencontrées autrement. Il s’y passe quelque chose que personne ne peut anticiper ; émerge une énergie intangible à laquelle il faut donner une forme. Au théâtre, lorsque quelqu’un s’impose et proclame : « je décide », l’espace autour se rétrécit. Quand on met cependant sa volonté en retrait, on a beaucoup à gagner.
Je crois en l’importance de la présence : être là, dans une écoute active et permettre aux choses de se déployer, plutôt que de vouloir les contrôler.

« AVEC SON REGARD, LE PUBLIC A UN POUVOIR SUR CE QUI SE PASSE SUR SCÈNE, TOUT COMME LE JEU DE L’ACTEUR. CAR REGARDER, C’EST DÉJÀ AGIR. »

Vous parlez de théâtre en tant que huis-clos. Le public fait aussi partie de ce huis-clos. Que cherchez-vous à faire du public ? Le convaincre ? Le satisfaire ? Le défier ?

Pas de théâtre sans public ! Le théâtre prend naissance avec le regard. Une mise en scène ne peut
pas être pensée sans envisager la place du public. C’est une question primordiale. Comment faire une place au public sans la lui imposer ? Je prends le public très au sérieux. Quand je travaille en tant que metteuse en scène, je ne veux pas prescrire au public comment il doit se sentir quand il voit ceci ou cela. Un public, ce sont des gens qui savent penser et ressentir par eux­-mêmes. Ce qui se passe dans la tête de chacun est complexe et ce qu’on propose doit être à la hauteur du public. Dans l’idéal, le théâtre donne accès à une expérience complexe qui se déploie sur la durée de la pièce. Le public est présent dans cet espace à l’intérieur duquel il peut se passer quelque chose.

Vous prenez le public au sérieux, vous le respectez. Implicitement, vous attendez de même du public à votre égard ?

Dans mon travail, j’essaie d’éloigner le public d’une attitude plus passive de « faites voir » ou « qu’avez­ vous à m’offrir ? ». En même temps, chaque spectateur peut s’installer dans son fauteuil et rester indiffé­ rent ou détaché. Mais c’est bien dommage. Car à la fin du compte, ne sommes­nous pas tous concernés ? La question de la responsabilité me travaille beaucoup. Que dois­-je donner de moi­-même en tant qu’individu pour mettre en valeur une expérience collective ? Je ne crois pas en cette vision du théâtre où certains font tout et d’autres ne font rien. Nous y sommes ensemble.
Avec son regard, le public a un pouvoir sur ce qui se passe sur scène, tout comme le jeu de l’acteur. Car regarder, c’est déjà agir.

© Véronique Kolber

Dans Vreckvéi, vous jouez Becky, le personnage le moins sérieux dans un monde extrêmement sérieux. Comment vous préparez vous à rentrer dans la peau du personnage ?

Difficile à dire, parce que le processus dépend des répé­titions. Le texte à lui seul a une grande force. À la pre­mière lecture, j’ai saisi sa profondeur, sa capacité à faire voyager le spectateur et l’acteur. La pièce est fasci­nante, énigmatique. Elle a quelque chose d’insaisissable, au premier regard. Le texte me mène quelque part, mais je ne sais pas encore où. Il y a là quelque chose d’au­thentique, d’organique, que j’ai hâte de découvrir.

Anne Klein joue votre sœur Anna sur scène. Connaissez-vous professionnellement ou personnellement Anne Klein ? Comment devient-on sœurs en accéléré ?

Anne et moi, nous nous sommes souvent rencontrées dans d’autres productions, sans bien nous connaître pour autant. J’ai beaucoup de respect pour une collègue qui s’enflamme pour ce qui la fascine. Je pense qu’elle aussi est à la recherche de quelque chose, avec des cheminements et des réponses différents aux miens. J’ai hâte de la rencontrer sur le plateau, de ren­ contrer toute l’équipe. Une production, c’est chercher des réponses communes aux questions que nous pose la pièce. Plus on multiplie les formes de réponses, plus on s’amuse.

Tout autre question : Quelle est l’influence de la mouvance MeToo dans la vie d’une actrice luxembourgeoise ?

C’est une question très compliquée. Je ne sais pas. Je me sens peu concernée dans le sens où je n’ai pas souvent travaillé dans des structures classiques, hié­rarchiques. Mon parcours ne m’a pas menée à des lieux où je me suis sentie limitée par mon genre ou mon âge. Je n’ai pas d’anecdotes personnelles à raconter, mais je sais que les questions posées par ce mouvement sont importantes pour nous tous. Il s’agit de la non-­objectifi­cation de l’autre.

En mars, vous participerez au concert-littéraire Sons littéraires au Mierscher Theater. Qu’est-ce qui vous a fait accepter ce projet ?

Ce projet me met en contact avec un genre dont je me sens un peu éloignée. J’aime écouter la musique classique, mais elle ne fait pas partie de mon quotidien. L’idée d’accéder à cet univers à travers la littérature me plaît. Janacek, Tournier, Britten, Fauré et Poe sont des compositeurs et auteurs d’époques que je ne connais pas bien. C’est une belle occasion pour approfondir le sujet.

© Véronique Kolber

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